Le jardin figure parmi les grands mirages du monde contemporain. Sous des dehors paisibles, la fameuse "paix des jardins", il nous fait oublier la guerre qu'il dissimule. Guerre livrée contre la nature sommée d'obéir aux injonctions de symétrie du genre humain. Guerre menée en bonne et due forme contre la faune à coup d'insecticide et de désherbant. Guerre du feu à la faveur des volutes noires et des odeurs carbonisées des barbecues. Guerre contre les autres en vertu de l'insatiable désir de propriété privée matérialisé par la clôture... électrifiée si possible. Ce petit paradis artificiel, régulièrement tondu pour cause de collaboration avec l'inadmissible chaos du vivant, affiche le profil du gendre idéal pour les peintres paysagistes. Ceux-ci se divisent en deux camps. D'un côté, les naïfs, béats d'admiration devant les variations sur le vert et les gammes de lumière. De l'autre, les méfiants, les retors, qui pressentent ce que cette illusion d'harmonie cache. C'est bien à ces derniers qu'appartient le belge (il vit et travaille à Liège et à Barvaux) Charles-Henry Sommelette. Les huiles sur toile de ce peintre de 31 ans révèlent des coins de verdure qui sentent le coup fourré. Impossible de ne pas songer au « Meurtre dans un jardin anglais » de Peter Greenaway. Trop paisibles pour être honnêtes, les jardins de Sommelette angoissent. Comme se fait-il que l'on n'y voit jamais personne? La présence de l'être humain est toujours suggérée de manière indirecte : fanions de fête d'anniversaire, piscine gonflable, balançoires... Que diable a-t-il pu se passer ? Les fusains, qui constituent l'autre volet de son travail, n'éclaircissent en rien l'affaire. Ces dégradés de gris matérialisent un temps qui s'étire comme un dimanche sans fin. Exactement ceux qu'enfant on redoutait de voir arriver.
Michel Verlinden pour Focus / Le Vif
![]() Charles-Henry Sommelette | ![]() Charles-Henry Sommelette |
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![]() Charles-Henry Sommelette | ![]() Charles-Henry Sommelette |
![]() Charles-Henry Sommelette | ![]() Charles-Henry Sommelette |
![]() Charles-Henry Sommelette | ![]() Charles-Henry Sommelette |
![]() Charles-Henry Sommelette | ![]() Charles-Henry Sommelette"Schoolday II" Fusain sur papier 145x145 cm 2014 |
![]() Charles-Henry Sommelette"Sans titre" Fusain sur papier 21,5x21,5 cm 2014 | ![]() Charles-Henry Sommelette"Sans titre" Fusain sur papier 21,5x21,5 cm 2014 |
![]() Charles-Henry Sommelette"Sans titre" Fusain et pierre noire sur papier 26x20 cm 2014 | ![]() Charles-Henry Sommelette"Sans titre" Fusain sur papier 147x98 cm 2014 |
![]() Charles-Henry Sommelette"Sans titre" Fusain sur papier 25,5x19,5 cm 2015 | ![]() Charles-Henry Sommelette"Sans titre" Fusain sur papier 25,5x19,5 cm 2015 |
![]() Charles-Henry Sommelette"Sans titre" Fusain et pierre noire sur papier 50x40 cm 2014 | ![]() Charles-Henry Sommelette"Sans titre" Fusain sur papier 40x50 cm 2014 |
![]() Charles-Henry Sommelette"Sans titre" Oil on canvas 24x18 cm | ![]() Charles-Henry Sommelette"Sans titre" Oil on canvas 24x18 cm |
![]() Charles-Henry Sommelette"Sans titre" Oil on canvas 24x18 cm | ![]() S-t+huile+sur+toile,+28X24cm,2014.jpg"Sans titre" Oil on canvas 28x24 cm |
![]() Charles-Henry Sommelette"Sans titre" Oil on canvas 26x20 cm | ![]() Charles-Henry Sommelette"Eldorado" Oil on canvas 22x22 cm |
![]() Charles-Henry Sommelette"Sans titre" Fusain et pierre noire sur papier 21,5x21,5 cm | ![]() Charles-Henry Sommelette"Sans titre" Fusain sur papier 21,5x21,5 cm 2014 |
![]() Charles-Henry Sommelette"Fisherman" Fusain sur papier 200x200 cm 2014 | ![]() Charles-Henry Sommelette"Nature morte (Totem" Fusain sur papier 240x240 cm 2014 |
![]() Charles-Henry Sommelette"Sans titre" Fusain et pierre noire sur papier 20x20 cm 2014 | ![]() Charles-Henry Sommelette"Sans titre" Fusain sur papier 18x14 cm 2015 |
CHARLES-HENRY SOMMELETTE
New works
27.03 / 09.05.2015
SOMMELETTE EN SES JARDINS À NU
Il peint ses jardins comme d’autres voyagent autour de leur chambre.
ARDENNAIS BON TEINT QUI, DÈS LORS, pourrait se revendiquer de cette “ardeur d'avance” bordant nos routes d'Ourthe en Semois, Charles-Henry Sommelette ne verse pas dans l'ambiance populiste des slogans à court terme. Il est, rebelle aux idées toutes faites, ce dessinateur - peintre, ou l'inverse, qui nous intrigue parce que, sans aucun doute, il s'intrigue lui-même. Le nerf de sa guerre avec le temps, c'est la découverte impromptue là où il ne l'attendait plus ! Nous sommes quelques-uns auxquels la découverte est aussi chère, sinon davantage, que le pain et le vin. Or, celle qu'il nous distille, de feuille en feuille, de toile en toile, au fusain ou à l'huile, ne déroge pas à la constante voulant que l'amateur d'art, le vrai, aime surtout être surpris. Aime se sentir libéré de quotidiens linéaires, capté par une étincelle de traverse, en quelque sorte sorti de ses gonds à brûle-pourpoint.
Contraste bien de saison dans un monde abominablement conforme ou lamentablement excité par les outrages et infamies qui délient les langues, Sommelette n'est pas du genre à brasser les paysages comme d'autres courent le monde, fuites sans rime ni raison. Pas du genre à brosser ses paysages comme une brosse à reluire peaufine l'indigence.
Présence et absence
De très petits tableaux, délicats, fignolés, traversés d'ondes et lumières. De grands fusains frappés des dénivelés, contrôlés mais impétueux, que rythment les touches de crayon charbonneux sur le blanc du papier à cran. Sommelette libère son trop plein d'intériorité en des études paysagères qui sont des états d'âme. Son environnement revu et corrigé à l'aune de ses imprécations solitaires. Son jardin lui sert d'exutoire. Le mobilise. Lui conte le sens de sa vie. Le met en demeure de dire au monde, sans en rajouter, l'univers qui se trame en lui.
Il n'y a pas de sujet dans ses fusains de peintre. Sinon le halo d'un paysage qu'il connaît bien pour être le sien de jour en jour. Et c'est là qu'intervient la conscience de l'individu. Du créateur. Là que se joue le petit théâtre perso que renferme chacune de ses pièces à conviction. Charles-Henry Sommelette peint au fusain et à l'huile l'absence qui le provoque et la présence qu'il insuffle à son compte-rendu. Pas de prise de tête. Que du lieu commun qu'individualisent, par une présence fortuite, un fauteuil de jardin, un portail, un goal de foot, une piscine gonflable, trois ballots de plastic, un fanion, plantés là, on pourrait se demander pourquoi.
Ombre et lumières
Le sujet importe peu. L'objet et la qualité des divagations sur le papier priment. Priorité absolue. Sommelette peint sa vie à travers le dédale des heures, des jours, par le biais tactile d'un art de peindre qui s'imbibe de secrets. Tout se joue entre présence et absence, entre ombres et lumières, entre vision paysagère élargie ou coin de rue. Des valeurs y sont encloses, sourdes aux commentaires savants, mais de mèche par l'intrigue qui s'y love, la tension qui s'y lie. Quand Sommelette nous peint son jardin, il nous dépeint son îlot mental. Ses nymphéas. Sa technique, superbe, envahit le papier d'ondes de choc. On sent le bâton de fusain qui y a couru, s'est emporté, s'est joint au sujet. On sent la main de l'artiste.
Il y a un plaisir physique dans le travail de cet artiste jeune encore et déjà maître de son terrain de prédilection. Il y a une vérité profonde éclairée d'échos silencieux.
Roger Pierre Turine
pour La LIBRE ARTS - N°272 17-22 avril 2015