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Hybride est le terme qui émerge de l’étendue terminologique qui qualifierait l'œuvre de Pascale Barret. Accordant peu d'intérêt pour des termes comme numérique, web ou plastique, elle s’apparente plutôt à des formes laboratoires. De manière singulière, cette artiste s'atèle à archiver et collectionner différents médias medium dans des dispositifs qu’elle qualifie d’états performatifs; ainsi se gomme autour de ses recherches une qualification unique ou reconnaissable.

Les études d’architecture ont amené Pascale à s’intéresser aux questions plastiques afférentes à l’espace environnemental et au corps en tant qu’architecture. Ses recherches sur le corps s’orientent sur des questions de corps virtuels, plastiques et mentaux. D’où son travail sur les avatars et doubles virtuels, alter ego, monstres ou autres extensions de nous-mêmes, qu’elle reprends dans ses performances telles que l’alter ego Frau Picha.

 

Partant du tangible, Pascale Barret s’engage à travers l’Internet en termes d’architecture mais aussi en prenant en compte la multiplicité identitaire offerte par les réseaux sociaux ou les mondes persistants. Une attention particulière est donnée à certains détails extraits des flux mass médias du Web, micro versus macro, Pascale Barret se confronte à des terrains glissants comme le genre, l’animalité, l’artifice, la sensualité, l’agglomérat ou l’abstraction.

Parallèlement elle explore les possibilités d’immersion inhérentes à l’informatique qu’elle relie avec l’histoire de l’Art, par un travail d’abstraction formelle et de reproduction jusqu'à la tangibilité sensuelle du pixel. Pour ses dernières œuvres, le LCD est un support intrinsèque au programme contenant le code vidéo, la surface du display devient matière en mouvement, d’une qualité quasi picturale. Les vidéos, elles sont la conséquence de caresses sur une tablette tactile dans un zoom extrême de l’image numérisée de l’intemporel tableau Le Jardin des Délices de Jérôme Bosch. En contre point lors du vernissage, la performance Music for a Code sera l’occasion de découvrir une pièce baroque, adaptation d’un code de programme informatique pour une voix et une viole de gambe.

 

Pascale Barret donne une attention soutenue à la temporalité qu'elle qualifie de mixte ou bien d'élastique dans ses processus et protocoles de créations. Après avoir expérimenté divers modes de représentations, elle précise aujourd'hui sa méthode de penser le dispositif, re-questionner l'héritage.

Parmi ses explorations poétiques, Pascale a réalisé en mars dernier une grande page Web. Black to Black est un journal semi fictionnel voir spéculatif contenant des medias réalisés durant une résidence avec des danseurs, ici l’aberrance informatique est exploitée au profit d’un parti pris esthétique. Pascale Barret se joue de médiums tangibles et virtuels, scientifiques et historiques pour aborder les questions identitaires. Elle combine et distord les pratiques avec la conscience accrue que la technologie tend à transformer notre perception du soi et d’autrui. Dans un balancement subtil avec le sensible, ses propositions sont empreintes d'humour et d'auto dérision. Quand le superficiel apparent révèle une densité, Pascale affirme dans un éclat de rire "Amusons nous... sérieusement! "

 

Albert Rapaces (2014)

This is ME !

[1] 

Rares sont les personnes qui aiment se voir de profil – dans un miroir ou en photographie, il s’agit généralement de l’angle de vue le moins apprécié. Il montre à la fois trop et pas assez, ne révèle rien de la singularité du visage. Et paradoxalement, c’est aujourd’hui le terme le plus utilisé pour désigner l’ensemble des données liées à un individu. 

Préoccupée depuis longtemps par les questions d’identité, Pascale Barret a tout naturellement été attirée par cette hydre numérique qui connecte entre elles 500 millions d’internautes, Facebook. Bataille de chiffres : comme le répètent à l’envi les détracteurs de Second Life, qui continue de revendiquer une augmentation constante de sa population, une différence subtile (qui peut prendre la taille d’un gouffre) doit être faite entre « inscrits » et « utilisateurs » (on peut être croyant et non pratiquant – c’est en tous cas ce que disent les croyants). Qu’en est-il sur Facebook ? La chasse aux « faux profils » serait ouverte [2].

Qu’est-ce qu’un « vrai » profil ? Pour Mark Zuckerberg, il s’agit d’un être humain capable de visionner des messages publicitaires. Mais la vie est courte, alors pourquoi se contenter de n’être que soi ? Second Life (où Pascale est déjà bien active) a ouvert la voie, et les utilisateurs de Facebook suivent tout naturellement la tendance. Sur 500 millions d’inscrits, combien possèdent plus d’un profil ? Pourrait-on diviser le chiffre par deux ? voire plus ? Je ne mentionnerai même pas ici les utilisateurs décédés, des sociétés très prévenantes se proposant de gérer votre identité post mortem en ligne (My Webwill : « Your Life Online After Death »).


Cette démultiplication des identités est au cœur du dernier projet de Pascale Barret, dont les « profile pictures » de sa page Facebook présentent une quantité sans cesse grandissante de visages féminins, où le sien n’apparaît tout simplement pas (ou, à tout le moins, pas de manière évidente). Ces images glanées sur l’Internet, de la Jeune fille à la perle de Vermeer à Fay Wray (King Kong), n’ont à première vue rien en commun, si ce n’est le traitement infographique qui les pixellise en partie. Ces voiles numériques, cachant les yeux ou la bouche, font écho aux débats sur la place des signes religieux dans l’espace public (mais après tout, Facebook est tout sauf un espace public). 

L’une des particularités du travail de Pascale Barret est la connexion qu’il parvient à établir entre monde virtuel et monde réel. Ce dernier projet pousse la réflexion assez loin, puisqu’il sort littéralement l’œuvre numérique du réseau pour la transposer dans un objet physique (que l’on peut, en plus, accrocher au mur) : une peinture sur toile. Concrètement, Pascale a demandé à une peintre spécialisée dans la copie d’exécuter des tableaux de petit format au départ des « profile pictures » partiellement pixellisées. Le geste renvoie aux questions soulevées par Fred Forest sur la marchandisation de l’art numérique (mise en vente aux enchères d’une œuvre en ligne, Parcelle réseau, 1996), ou encore à l’évolution spectaculaire du travail d’Alexeï Shulgin, passé du net art le plus radical à la production de « media objects » vendus par sa galerie (Electroboutique, 2004). Il s’agit aussi d’une inversion du processus habituel de numérisation d’une œuvre (pourrait-on parler ici d’analogisation ?).

Enfin, le fait que ce soit une copiste qui ait réalisé les deux tableaux tirés de la série des « profile pictures » (portraits anonymes de Anne Boleyn et de George Sand) n’est pas innocent : l’on songe à ces collectionneurs qui exposent fièrement des copies à la vue de leurs invités crédules, tandis que les originaux dorment dans un coffre. Sauf qu’ici, un incident de parcours a modifié le sujet en profondeur. Ce genre d’altération, qui peut survenir lors du processus de numérisation d’une œuvre, est assez inattendue de la part d’un peintre copiste, dont le rôle est, par définition, de respecter autant que possible l’intégrité de l’original. Ces visages pixellisés sont la parfaite métaphore du profil d’utilisateur : reflets incomplets de personnes physiques, modifiés par et pour l’environnement numérique dans lequel ils évoluent.



Pierre-Yves Desaive

2011

[1] « Ce profil m’appartient ! » : option figurant sur la page d’accueil de Yatedo, première étape vers la réappropriation d’un profil usurpé.

[2] Rue89, 07/04/2011 : Faux profils : Facebook m’a tuer, puis m’a ressusciter.

PASCALE BARRET

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