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TEXTS

CHARLES-HENRY SOMMELETTE

translation by Françoise Dubois

CHARLES-HENRY SOMMELETTE by Alain Delaunois

 

Outdoor

 

When you don’t know what you are looking for, you just might stumble onto something completely unexpected. Since La Palice (he had eight children, which is half of sixteen) and Dada (“even water from Lourdes can fix a car”, Francis Picabia, following his Delage overheating incident in the 20s), any artist should be able to confirm that. And so, one can sometimes obtain life-s(t)imulating coherence even if one hasn’t asked or hoped for it. It depends neither on any kind of excesses (of little weight) nor on the indecisiveness of ideas, nor on the dry, deceiving and calculated reason of “subject” paintings that contemporary art –and its public—too often hungrily satisfies itself with. So, it is with full coherence that we can approach Charles-Henry Sommelette’s paintings (1984, lives and works between Liège and Barvaux) (…): how does one look at and read the works he offers us –essentially landscapes’ fragments, seemingly open green spaces, visual constructions where the subject is of lesser interest than its technique and the richness of the interior world it suggests?

 

Already s(cr)een

 

Managing to make the unexpected perceived, especially in a genre as academic, well known, hackneyed as landscapes, is less of a joke than a daring form of evocation. Even more daring since it doesn’t hesitate to look straight in the rearview mirror, at old masters of interior scenes such as Pieter De Hooch (1629-1684), or of classical landscape such as Le Lorrain (1600-1682), or the even more explicit reference to John Constable (1776-1837) and his “Study of the trunk of an elm tree”, on display at the Victoria and Albert Museum in London. Under the title “Promenade”, Charles-Henry Sommelette realizes several versions of it that are as many musical variations of the theme, whether he uses charcoal, oil on canvas or ink, it is a serial music sheet that doesn’t contradict his often affirmed desire to see himself as a performer of things already seen, rather than as a creator of imagined scenes.

Indeed, the majority of Sommelette’s paintings and drawings come from his immediate environment and it is this proximity of the “seen and seen again” he relentlessly exhausts, trying to own such and such landscape in such and such light. Quotes and references to classical painting perhaps, but also a wink at a more recent world: daylight in some of Hopper’s paintings for instance, some exterior scenes without people from David Lynch’s feature films, or even lengthy contemplation scenes attempted by Michael Snow in some of his films. Naturally, we can then imagine that the elements which constitute Sommelette’s paintings are also found separately or together in several of his other works and so, form a permanent new reading of the landscape that eventually ends up giving it the worrisome strangeness of the invisible prowler.

 

Beyond the horizon

 

No doubt this vast ensemble is based on masterful technique and know-how, as much in the charcoal nuances as in the color composition – and that has a lot of merit already. The large charcoal pieces ensure a sort of distance, a little like a wide-open bay window with a balance at the composition line as well as a larger vista.  The smaller paintings allow for visual proximity, a focus of the eye on the subject that, paradoxically, forces us to look towards the outside. All these different works –without leaving out the watercolors—must be observed in a global perspective. They invite us to not only see landscape representations but also feel the atmosphere of the landscapes. (…)

 

British Green

 

In these paintings, the very British green dominates, in the trees, gardens, fields, even the “green” of golf courses or football fields. At first, human presence is only noticeable –if even there—through a few artificial signs, usually products of industry or the recreational business: a goal cage without a net, a folded umbrella, a slightly colored pennant banner, a white lime line defining a corner, a garden arbor, a plastic-wrapped hay bale… But, upon taking a closer look, we quickly realize that the human hand is quite present in the other scenes of parks and gardens: it is that hand which determines the plants’ height, the hedges’ angles and corners, the vegetation’s size and shape, the limits of the visible space and the lines of the horizon.

 

So, these outdoor spaces are in fact less open than we are at first led to believe, so we can’t help but linking them to the interior scenes with their wall angles, doors, windows and fireplace mantels that Charles-Henry Sommelette painted only a few years ago. The color range is lighter, the open air significant, but his painting world still reflects the same strong uncertainty, the one that made Fernando Pessoa write: “I don’t know what it is in these gardens’ intimate substance, something poor and weird that only allows me to understand it when I don’t understand myself.” In other words, the same scary disquiet.  

CHARLES-HENRY SOMMELETTE par Alain Delaunois

 

outdoor

 

   Quand on ne sait pas ce qu’on cherche, on peut avoir la chance de tomber sur quelque chose d’inattendu. Depuis La Palice (« Il eut huit enfants, c’était la moitié de seize ») et Dada (« L’eau de Lourdes peut dépanner une auto », Francis Picabia, à la suite d’un incident de surchauffe mécanique survenu à sa Delage dans les années 20), n’importe quel artiste devrait être capable d’en dire autant. Ainsi obtient-on parfois, sans l’avoir demandée ou espérée, cette cohérence qui s(t)imule une des conditions de la vie. Elle ne tient ni aux débordements de toutes sortes (mais de peu de poids), ni à l’indécision des idées, ni à la raison, calculée, décevante et sèche, des peintures « à sujet », dont se satisfait avec gloutonnerie une large part de la peinture contemporaine – et de son public. Ainsi peut-on aborder en pleine cohérence les peintures que Charles Henry Sommelette (1984, vit et travaille entre Liège et Barvaux) expose aux Brasseurs dans le cycle « Sixième Sens » : comment regarder et lire les œuvres qu’il nous propose – essentiellement des fragments de paysages, des espaces verts apparemment ouverts, des constructions visuelles dont le sujet a moins d’intérêt que son traitement, et la richesse du monde intérieur qu’il suggère ?

 

already s(cr)een

 

   Réussir à faire percevoir ce qu’on ne s’attend pas à voir, a fortiori dans un genre aussi académique, aussi connu et rebattu que celui du paysage, tient moins de la gageure que d’une forme d’évocation hardie. D’autant plus hardie qu’elle n’hésite pas à regarder directement dans le rétroviseur, chez des maîtres anciens des scènes d’intérieur, comme Pieter De Hooch (1629-1684 ?) ou du paysage classique, tels Le Lorrain (1600-1682) ou, référence plus explicite encore, John Constable (1776-1837) et son « Etude d’un tronc d’orme » visible au Victoria & Albert Museum de Londres. Sous le titre de « Promenade », Charles Henry Sommelette en réalise plusieurs versions, qui sont autant de variations quasi musicales du thème, fusain, huile sur toile ou encre de chine, une partition sérielle qui ne contredit pas son désir souvent affirmé de se voir tel un interprète de choses vues, plutôt qu’un créateur de scènes imaginées.

 

   La majorité des peintures et dessins que réalise Sommelette font en effet partie de son environnement immédiat, et c’est précisément cette proximité du « vu et revu » qu’il épuise sans relâche, en tentant de s’approprier tel paysage, à la faveur de telle lumière. Références et citations de la peinture classique, sans doute, mais on pourrait aussi tendre quelques perches vers des univers plus récents : la lumière du jour dans certaines toiles de Hopper, par exemple, certains plans en extérieur, sans personnages, des longs métrages de David Lynch, ou encore la contemplation dans la durée, mise à l’épreuve dans plusieurs films de Michael Snow. On peut donc naturellement imaginer que les éléments constitutifs d’une peinture chez Sommelette se retrouvent, ensemble ou séparément, dans bon nombre d’autres, formant ainsi une relecture permanente du paysage qui finit, à force, par lui conférer l’inquiétante étrangeté du rôdeur invisible.

 

beyond  the  horizon    

 

   Ce vaste projet d’ensemble s’appuie sans aucun doute sur une technique et un savoir-faire maîtrisés, tant dans les nuances du fusain que les compositions de couleurs – ce qui n’est déjà pas sans mérite. Les très grands formats, pour les fusains, assurent une distance, un recul, qui s’apparente à ce que procure une baie vitrée largement ouverte : un équilibre à la ligne de composition, ainsi qu’un point de vue globalisant. Les petits formats, pour les peintures, permettent une proximité visuelle, un focus de l’œil sur le sujet, qui oblige paradoxalement le regard à s’ouvrir vers les extérieurs. Mais c’est nécessairement dans une perspective d’ensemble qu’il faut observer ces différents types d’œuvres – dont on n’éloignera pas les aquarelles – et qui nous invitent non seulement à voir des représentations de paysages, mais également à ressentir des atmosphères de paysages.

 

   Exemple flagrant, cette peinture sans titre et de petit format, comme la plupart des peintures d’extérieur ici présentées. Au premier regard, on perçoit un ciel lumineux qui n’est pas sans évoquer ceux de Magritte, et qui occupe près des trois quarts de la surface de cette toile horizontale. En bas de la toile, les sommets d’une rangée de thuyas aux pointes vertes, dont on distingue les ramures de feuilles en écailles, se chevauchent dans une gamme de vert inspirant comme un élan vital à l’ensemble. Le ciel bleu n’est pas vide, de très fines impulsions blanches s’y déploient, et, à l’extrême droite de la toile, si on ne voit pas le soleil (au lever, au couchant ?), on en devine toute l’intense luminosité. Elle creuse la perspective et invite à chercher ce qu’il y a derrière cet horizon, invisible mais clairement suggéré. Le paysage chez Charles Henry Sommelette est un grand mystère silencieux.            

 

british green

 

   Dans ces peintures où s’impose le vert très anglais des arbres, des jardins, des prairies, voire le « green » des terrains de golf ou de football, la présence humaine n’est d’abord perceptible, quand elle est là, qu’à travers quelques signes artificiels, généralement produits de l’industrie ou des loisirs : cage de goal sans filet,  parasol replié, guirlande de drapeaux légèrement colorés, tracé de chaux blanche délimitant un angle, tonnelle de jardin, ballot de foin dans sa housse plastifiée… Mais à y regarder de plus près, on s’aperçoit très vite que dans les autres scènes d’extérieur de parcs et jardins, la main humaine n’est pas moins présente : c’est elle qui détermine la hauteur des plantations, les angles et les coins des murs de haies, la taille et la forme de la végétation, les limites de l’espace visible et les lignes d’horizon.

 

   Ces espaces en extérieur sont donc moins ouverts qu’il n’y paraît de prime abord, et on ne peut s’empêcher, alors, de tracer un parallèle avec les scènes d’intérieur, angles de murs, de portes et fenêtres, et autres tablettes de cheminée, que Charles Henry Sommelette a peints il y a quelques années seulement : la palette s’est largement éclaircie, l’appel d’air est certes signifiant, mais le monde peint recèle toujours la même puissante incertitude, celle qui faisait écrire à Fernando Pessoa : « Je ne sais ce qu’il y a de pauvre, de bizarre dans la substance intime de ces jardins, qui fait que je ne peux bien la percevoir que lorsque je ne me perçois pas bien moi-même. » Une même intranquillité redoutable, en somme.

CHARLES-HENRY SOMMELETTE Une troublante vision du paysage

par Jean-Marie Wynants pour Le Soir

C'est un paysage banal, ver­doyant, qu'on imaginerait volontiers apaisant. Et pourtant, sous le pinceau de Charles-Henri Sommelette, ce petit coin de verdure devient mystérieux, à la limite de l'in­quiétant.

Présenté au début de l'année aux Brasseurs à Liège, ce jeune artiste est aujourd'hui l'invité de la galerie duboisfriedland à Bruxelles. Entre-temps, il a été récompensé par le Prix Collignon 2013 destiné à encourager un jeune artiste de moins de 40 ans domicilié en Belgique. On l'a aussi vu, déjà chez duboisfried­land, lors de la Slick Art Fair.

Durant ces derniers mois, il a continué à travailler d'arrache-pied proposant à Bruxelles de nombreuses œuvres nouvelles mais restant dans la même veine que la série précédente. D'une part de grands fusains montrant des paysages denses et sombres mais aussi, parfois, des intérieurs à l'ambiance tout aussi étrange. D'autre part, de petites huiles où le vert domine largement. Pe­louses, arbres, haies, bosquets, jardins, buissons taillés. Pas une nature sauvage mais des espaces domestiqués, sculptés par la main de l'homme qui, le plus souvent, y ajoute l'un ou l'autre élément de son cru : panneau de basket, cabane en planches, fa­nion de golf, balançoires, petite route macadamisée, mur décora­tif...

Tout est bien propre, bien ran­gé dans cet univers. Pourtant au­cune joie n'en ressort. Les ciels, quand on les voit, sont souvent pâles, gris. Et les jeux d'enfants (balançoire, pneu suspendu, trampoline...) semblent aban­donnés comme si un malheur avait frappé les lieux. Ou comme si, plus simplement, l'enfance s'était enfuie.

Aucun être vivant n'est visible mais la trace du passage de l'homme est partout.

Que lui est-il arrivé ? A-t-il disparu ou est-il simplement hors champ ? Le spectateur reste dans l'incerti­tude face à ces morceaux de cam­pagne déserts. Leur banalité mê­me les rend vaguement inquié­tants. Leur calme suscite une lé­gère angoisse plutôt que l'apai­sement espéré.En s'attaquant au paysage, l'un des thèmes les plus rabâchés de la peinture, Charles-Henry Som­melette parvient à le renouveler et à proposer un univers singu­lier où le réalisme, tempéré par une sorte de vibration née des couleurs et de la touche du pin­ceau, devient plus étrange que n'importe quelle image fantas­tique cherchant à susciter la peur.

Il y a dans ces paysages au ca­drage parfois très particulier (une rangée de sapins dont on ne voit que la cime tout en bas du ta­bleau) quelque chose de figé. Comme si le peintre avait eu le pouvoir d'arrêter le temps pour mieux pouvoir saisir son sujet.

Les grands fusains génèrent une autre étrangeté avec leurs noirs profonds, le travail sur la lumière, la présence presque pal­pable des arbres qui, ici, ont quelque chose de presque vivant, à la limite entre le magique et le menaçant. Pourtant, une fois en­core, l'artiste se « contente » de saisir l'ambiance de lieux qu'il connaît bien et dont il livre une vision à la fois fidèle et habitée d'une étrange vibration.

On est d'abord saisi par ces ambiances indéfinissables. On admire ensuite la technique, la précision du geste, les contrastes entre les éléments végétaux tou­jours vivants malgré l'intervention de l'homme et les objets ou détails architecturaux, le plus souvent rigides et comme dépla­cés dans cet univers. Mais très vite, on revient aux ambiances, happés par ces espaces dont on évite de trop s'approcher par crainte de basculer de l'autre côté de la toile et de se retrouver pri­sonnier à jamais de ces paysages troubles et troublants.

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